Etude des interactions levures-levures / Bioprotection des vins / Biodiversité et évolution de la flore levurienne de la cuverie à la cave – les biofilms bactériens
Porteur(s) : Université de Bourgogne
Responsable(s) scientifique(s) : Hervé Alexandre (UMR PAM équipe VALMIS)
Coût total 2017 : 85 836 € (soutien FEDER : 26 706 €)
Financeur(s) : Conseil Régional Bourgogne-Franche-Comté ; SOFRALAB ; AEB ; Lallemand ; Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne ; FEDER
Présentation :
Interactions levures-levures
Actuellement, il est reconnu que l’écologie des processus fermentaires est complexe et que les espèces levuriennes appartenant aux non-Saccharomyces sont impliquées dans la complexité aromatique des vins par les métabolites produits.
Récemment un regain d’intérêt a vu le jour vis-à-vis de nouvelles souches de levures adaptées à différents styles ou types de vin. Dans ce contexte, pour améliorer la composition chimique des vins et leurs propriétés sensorielles, l’utilisation de levures de vin non-Saccharomyces avec des Saccharomyces en cultures mixte a été proposé comme outils pour imiter les fermentations en levures indigènes mais en évitant les risques de déviations ou d’arrêts de fermentations.
Bien que des études aient démontré l’intérêt de ces co-cultures, des recherches sont nécessaires pour élucider les interactions physiologiques et métaboliques entre Saccharomyces cerevisiae et les non-Saccharomyces. En effet, des études préliminaires ont montré que lorsque des espèces différentes se développent en co-fermentation, elles ne co-existent pas passivement mais interagissent et produisent des composés imprévisibles et/ou des concentrations différentes de produits fermentaires qui peuvent modifier la composition chimique et aromatique des vins.
Les fermentations mixtes utilisant des levains de Saccharomyces et de non-Saccharomyces sont une approche pratique permettant d’améliorer la complexité et certaines caractéristiques des vins. Cependant, les interactions entre les différents levains qui apparaissent pendant la fermentation et les modalités d’inoculation nécessitent d’être étudiées. En effet, les connaissances des interactions entre microorganismes en conditions de vinification sont limitées.
L’objectif de ce projet et donc de définir les paramètres permettant de maîtriser les co-fermentations.
Pour ce faire, il convient de connaître les besoins nutritionnels de la levure non-Saccharomyce et la nature des interactions avec Saccharomyces cerevisiae.
La première approche consistera à étudier les besoins en azote des souches appartenant aux espèces non-Saccharomyces. Etonnamment, cet aspect n’a jamais été étudié et d’autre part une compétition vis-à-vis des sources azotées peut se traduire par des modifications du profil aromatique, puisque les esters sont entre autre synthétisés à partir de précurseurs azotés.
La seconde partie de l’étude s’intéressera à l’influence des souches entre elles. Pour identifier la nature des interactions entre deux espèces, une approche transcriptomique et métabolomique sera utilisée, afin d’identifier comment une espèce peut modifier le métabolisme d’une autre espèce.
Bioprotection des vins
La biopréservation ou bioprotection a fait l’objet d’essais confidentiels et seules les applications sont mises en avant comme la vinification sans sulfites, la production de thiols, la diminution des altérations. Des produits commerciaux sont déjà vendus dont les allégations ne sont pas confirmées par des études scientifiques.
Nous souhaitons dans le cadre de ce travail de thèse comprendre comment fonctionne la bioprotection et nous assurer de son efficacité. Pour être une alternative aux sulfites, la bioprotection doit pouvoir remplacer tout ou partie des propriétés des sulfites, à savoir l’activité antioxydante, antioxydasique et antimicrobienne. Les hypothèses de travail sont que le développement précoce des flores apportées peut libérer dans le milieu des composés organiques antioxydants qui miment l’activité sulfitique et qui éviterait l’oxydation du moût en consommant l’oxygène dissous. La réduction des altérations quant à elle serait liée à une colonisation du milieu par les microorganismes apportés empêchant le développement des microorganismes d’altérations. Ce sont ces hypothèses que nous souhaitons vérifier dans ce travail et comparer différentes flores levuriennes dans l’application de bioprotectants.
Levures : biodiversité et évolution de la cuverie à la cave
La majeure partie des travaux scientifiques réalisés sur l’étude de la biodiversité et l’évolution des populations levuriennes dans des cuveries se sont jusqu’à présent focalisés principalement dans des cuveries en production. En effet, peu de travaux portent sur l’évolution de la flore dans une nouvelle cuverie. A l’heure où de plus en plus de domaines réalisent des vinifications spontanées sans recours au levurage de starters, il est important d’apporter des connaissances sur le développement, l’évolution et l’implantation des populations levuriennes dans une cuverie neuve dès la première année de vinification. Ainsi, la caractérisation de la population présente a été entreprise dans une nouvelle cuverie n’utilisant pas de levain : des prélèvements ont été réalisés avant l’arrivée de la vendange (sol, murs, matériels), au cours de la vinification dans certaines cuves suivies spécifiquement, et se poursuivront avant l’arrivée de la vendange du millésime suivant. La diversité microbienne et son évolution au cours de l’année seront analysées par pyroséquençage. De plus, grâce à la caractérisation des isolats du genre Saccharomyces au niveau de la souche (technique de discrimination par analyses microsatellites ou PCR delta), il sera possible de connaitre l’origine des souches de levures qui se sont implantées au cours de la fermentation alcoolique pour les cuves suivies et également de connaitre l’origine des levures qui se sont implantées entre les 2 millésimes dans la nouvelle cuverie.
En cave, les travaux scientifiques portant sur les évolutions des populations sont également restreints. De nos jours, les itinéraires œnologiques sont très variés d’un domaine à l’autre : vinification spontanée ou levurage/ diminution des doses de SO2 apportées/hygiène importante ou non de la cave…). Il apparait nécessaire de comprendre les impacts de ces différents itinéraires sur la microflore en place tout au long de l’élevage du vin, étape importante, sensible à la contamination par des flores d’altération comme la levure Brettanomyces. Dans le cadre de ce projet, 3 lieux de vinification en rouge ont été retenus :
- Un domaine travaillant en viticulture biologique, vinifiant en flore indigène, utilisant peu ou pas de S02 avec une hygiène modérée (Domaine PR), présentant ponctuellement des problèmes de contamination par Brettanomyces
- Un domaine travaillant en viticulture raisonnée, vinifiant avec des starters levuriens et/ou en flore indigène, utilisant du S02 à des doses classiques avec une hygiène drastique (Domaine B), présentant des problèmes de contamination par Brettanomyces
- Un domaine travaillant en viticulture raisonnée, vinifiant avec des starters levuriens et/ou en flore indigène, utilisant du S02 à des doses classiques avec une hygiène modérée (Domaine M) et ne présentant pas de problèmes de contamination par Brettanomyces
Des prélèvements ont été réalisés avant l’entonnage, en fin d’entonnage et se poursuivront jusqu’à l’entonnage du millésime suivant. La caractérisation des populations fongiques est en cours grâce une technique d’analyse globale de la diversité (pyroséquençage) afin de connaitre les flores présentes dans les 3 différentes caves. De plus, une recherche de flore d’altération (bactéries acétiques et/ou levure Brettanomyces) a également été réalisée dans ces 3 caves. En fonction des résultats obtenus, nous tenterons de faire des corrélations entre la population levurienne totale de chaque cave et la présence ou non de flore d’altération. Des liens entre les pratiques d’hygiène réalisées et les flores totales ou d’altération seront également étudiés.
Les biofilms, un outils pour la fermentation malolactique
Les fermentations malolactiques spontanées sont dues à des bactéries résidant sur le matériel viti-vinicole. La capacité des microorganismes à adhérer et donc à persister sur ces supports peut donc avoir un impact sur la qualité du vin. L’adhésion à un support est la première phase de développement en biofilm, mode de croissance permettant aux micro-organismes de s’organiser en une communauté microbienne au sein d’une matrice de polymères. Récemment nous avons pu mettre en évidence la capacité de souches de Oenococcus oeni à adhérer sur différents supports (acier, bois) et à se développer en biofilm. Le développement d’un fermenteur spécialisé ainsi que le test de différents supports (modification de la forme, de la rugoqité notamment) a permis d’optimiser la culture en biofilm d’O. oeni. Ainsi, une expérience a pu être conduite au domaine expérimental de Marsannay (1 HL par fermentation), afin de comparer l’efficacité de ferments développés en biofilm (sur bois ou décroché d’acier) à des cellules planctoniques.
Nous allons donc par la suite nous intéresser aux transferts de molécules du bois vers le vin. En effet, dans le cadre d’une fermentation malolactique se déroulant en fût, des précédentes études ont démontré que O. oeni, sous sa forme planctonique, influençait par son activité enzymatique la libération d’arômes du bois issus de précurseurs glycosylés. Nous allons donc mesurer la concentration des molécules aromatiques-clés par chromatographie gazeuse. En parallèle, une analyse sensorielle réalisée par un panel entrainé sera conduite. Une première étude nous a permis de démontrer que la chauffe du bois n’avait pas d’impact sur la capacité d’O. oeni à se développer en biofilm. Ce paramètre chauffe sera donc également analysé lors de l’étude du transfert de molécules.
Parallèlement à cette étude nous nous intéresserons à l’impact de la lysogénie (i) dans la formation de biofilm et (ii) pour l’activité métabolique de bactéries lactiques. Nos premiers résultats indiquent une capacité de souches lysogènes à se développer en biofilm sur support acier. Par ailleurs, la contribution possible des morons (gènes impliqués dans la lysogénie) au fitness cellulaire sera quantifié par RT-qPCR pour un panel de souches d’intérêt dans les deux modes de croissance : planctonique et biofilm. L’application supplémentaire de stress cohérents avec la fabrication du vin permettra d’obtenir des informations sur l’importance de la lysogénie pour l’adaptation des souches aux conditions environnementales stressantes.
Evolution adaptative des bactéries
Les conditions physicochimiques des vins (pH, éthanol, SO2..) imposent un environnement particulièrement hostile à la croissance et au maintien de O. oeni. Bien que cette bactérie lactique soit particulièrement acido-tolérante, l’acidité de certains vins (pH<3,2) retarde ou entrave le déroulement de la FML exposant les vins à une instabilité microbiologique et/ou une dérive organoleptique. Le screening de 30 souches indigènes isolées de divers domaines et vins rend compte de l'extrême diversité en termes de capacité de ces souches à mettre en œuvre la FML dans des vins dont le pH est inférieur à 3,2. Parmi ces 30 souches, deux présentent une efficacité marquée à mener la FML dans ces conditions. La caractérisation de ces souches a été réalisée par le biais de marqueurs cellulaires couplés à la cytométrie en flux au cours de la phase d'acclimatation ainsi que durant la FML.
Plusieurs mécanismes cellulaires impliqués dans la réponse de O. oeni au stress acide ont été précédemment décrits. Ces mécanismes mettent en jeu des acteurs moléculaires permettant de rétablir l’homéostasie cellulaire et de maintenir un pH intracellulaire (pHi) compatible avec le métabolisme cellulaire. Ainsi, la synthèse de protéines dites « de stress » permet de remédier aux dommages cellulaires consécutifs au stress et le métabolisme des acides organiques et des acides aminés joue un rôle prépondérant dans le maintien du pHi. L’ensemble de ces mécanismes est néanmoins transitoire et ne permet pas d’expliquer la si grande diversité de tolérance des souches indigènes.
Dans le cadre de ce projet nous nous proposons de déterminer les bases moléculaires à l’origine de l’adaptation et/ou de l’acclimatation de O. oeni à son environnement par la mise en œuvre d’un procédé d’évolution adaptative. Pour cela, une souche de O. oeni sera contrainte à croitre dans des environnements présentant progressivement des conditions physico-chimiques de plus en plus drastiques (pH<3). Suite à ce procédé d'évolution accélérée, une comparaison génomique entre le génome de la souche « évoluée » versus la souche parentale sera effectuée. Une analyse transcriptomique (RNAseq) sera également menée afin de rendre compte du profil d'expression du génome de la souche « évoluée » versus la souche ancestrale permettant ainsi d'estimer la charge dévolue au phénotype dans le phénomène d'acclimatation des souches.